1- Quelles relations les notables ottomans et levantins ont-ils entretenus avec la Belgique par le biais de l’implantation de sociétés de tramways belges ?
Les sociétés exploitant des tramways dans l’Empire ottoman étaient le plus souvent des sociétés de droit ottoman dont les parts étaient détenues en majorité par des sociétés de droit belge (ou remplacées par des françaises sous le régime du mandat pour la Syrie et le Liban). Des notables ottomans siégeaient donc dans les sociétés locales, aux côtés de cadres expatriés qui étaient responsables de la direction opérationnelle. Outre ces personnalités souvent choisies pour récompenser ou utiliser leur influence auprès de l’administration ottomane, des relations plus étroites existaient avec les hommes de loi ou prospecteurs ottomans qui étaient fréquemment invités à Bruxelles ou à Paris pour mettre au point des projets ou régler des contentieux. Emmanuel R. Salem, avocat à Constantinople, est l’un de ces « go-between » les plus actifs.
2- Quel impact a eu le développement de tramway belges dans l’Empire ottoman sur les relations entre la Belgique et les différents acteurs politiques de ce dernier ?
Pratiquement tous les réseaux de tramways de l’Empire ottoman ont été installés et/ou équipés par des intérêts belges ; ce n’est qu’à Constantinople qu’un véritable consortium international (avec Bruxelles pour siège) pour se concilier des intérêts notamment allemands, qui voyaient là un enjeu politique majeur. La force des acteurs belges – et des diplomates qui les assistaient – était de ne pas pouvoir être suspectés de visions impérialistes ou colonialistes dans l’Empire ottoman. C’est donc sans arrière-pensée et sur des bases pragmatiques que les interlocuteurs belges et ottomans ont su trouver des terrains d’entente conclus, il est vrai, au moyen de substantielles prébendes (appelées « sacrifices ») offertes aux décideurs.
3- Vous avez également publié des ouvrages sur les tramways belges en Égypte et en Russie : quels sont les vestiges aujourd’hui de la présence belge en Méditerranée orientale et dans le Caucase ?
Il n’existe guère de vestiges des tramways installés par des intérêts belges sur le territoire de la Russie d’avant le traité de Brest-Litovsk, hormis peut-être quelques dépôts. La plupart des réseaux belges ont été dotés de voies à l’écartement métrique. Après 1917, ces réseaux ont souvent été reconstruits avec l’écartement large de 1524 mm, ce qui a rendu obsolète le matériel roulant d’origine belge à partir des années trente. Le dernier réseau à avoir accompli cette transformation est le réseau d’Odessa, en Ukraine, dont les derniers trams à voie métrique ont circulé dans les années septante, mais c’étaient déjà des véhicules de construction locale. Les réseaux qui n’ont pas été convertis ont vu le plus souvent les tramways remplacés par des trolleybus. A ma connaissance, aucun tramway de construction belge n’a été préservé dans les territoires de l’ex Russie tsariste. De contacts avec des Russes, je constate que le souvenir de la présence belge est encore vif, même si ce sentiment est déchiré entre la gratitude pour la création d’emplois et l’amélioration de la mobilité, d’une part, et le sentiment d’avoir été « colonisé » par des intérêts étrangers, d’autre part.
En Egypte, deux anciens tramways de construction belge, l’un du réseau du Caire et l’autre d’Héliopolis, ont été installés devant le Palais hindou d’Edouard Empain, à Héliopolis. Un autre tramway du Caire est préservé dans un studio de cinéma à Gizeh.
En Grèce, plusieurs tramways de (Thes)Salonique ont été sauvegardés et attendent leur restauration en marge de l’inauguration prochaine du métro.
En Turquie, l’un des tramways anciens en service sur l’Istiklal Caddesi, à Istanbul, est de construction belge pour la caisse et allemande pour les équipements électriques.
Au Liban, une remorque des tramways urbains survit dans les hauteurs de Beyrouth, mais à titre précaire.
Entretien réalisé par Coline Houssais